Après les agents de la RATP vendredi dernier, les robes noires sont descendues à leur tour dans la rue ce lundi 16 septembre 2019 en compagnie d’autres professions afin de manifester contre la réforme des retraites entreprise par le gouvernement.
En effet, des avocats, des professionnels de santé et des salariés du transport aérien réunis en collectif (intitulé SOS-Retraites), ont défilé ensemble pour dénoncer ce projet de réforme. Tous défendent la spécificité de leurs régimes et refusent le nouveau système à points qui doit fusionner les 42 régimes existants en un seul.
Les 12 avril et 6 juillet derniers, le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté une résolution et une motion sur ce projet qui ne prendrait pas en compte la spécificité de la profession. Suite à cela, le CNB a appelé l’ensemble des avocats de France à manifester le 16 septembre. Une « mobilisation extrêmement forte » était attendue. L’objectif a été atteint puisque sur les 164 barreaux de France, 160 étaient représentés lors de manifestation.
L’appel à manifester s’est doublé d’un appel à la grève dans la plupart des barreaux du pays. Ainsi, les juridictions ont du faire face à une grève des plaidoiries tant au civil qu’au pénal avec des demandes systématiques de renvois d’audience à des dates ultérieures. Dans certaines juridictions, les commissions d’office, les consultations gratuites ainsi que les permanences pénales n’étaient plus assurées.
Pourquoi une telle mobilisation de la part des avocats ?
Tous s’opposent fermement à deux points du projet de réforme :
La hausse des cotisations.
La disparition du régime « autonome » géré par la Caisse nationale des barreaux français et ses 2 milliards d’euros de réserves financières, conséquence de la fusion de leur régime autonome avec le régime universel.
La question est alors de savoir quelles seront les conséquences de cette réforme sur la profession d’avocat et sur la qualité des services rendus aux justiciables ?
Le régime de retraite actuel :
Qu’ils soient salariés ou indépendants les avocats dépendent de la Caisse nationale du barreau français (CNBF) qui gère leur régime de retraite. Créé en 1948 et devenu autonome en 1954, ce régime est totalement différent de celui des autres professions libérales. Il est le produit de l’évolution de la profession d’avocat, dont le nombre n’a cessé d’augmenter, passant ainsi de 7 500 en 1970 à 70 000 à ce jour. Un effectif pas si élevé en comparaison d’autres pays européen : en 2011, l’Allemagne comptait 155 000 avocats, l’Espagne 130 000 et l’Italie 162 000.
Le régime actuel permet aux avocats de bénéficier d’une retraite de base garantie pour tous calculée sur la durée de l’exercice et non sur le revenu et d’une retraite complémentaire calculée en fonction du revenu.
Avec la réforme, les avocats seront soumis au régime par points et on ne sait pas à ce stade comment les droits acquis seront valorisés dans le nouveau système.
La CNBF, sous réserve de leur validation par les autorités de tutelle, fixe librement les cotisations que paient les avocats et les prestations qu’ils reçoivent. Cette situation a permis de prélever des cotisations modérées, de les réduire pour les nouveaux avocats, et de verser des pensions de retraite ne pénalisant pas les temps d’activité réduite.
En effet, il permet de reverser à tous la même retraite de base, 1 450 euros par mois afin de gommer les différences, notamment au bénéfice des femmes, qui ont des revenus moins importants que les hommes.
Avec le système à points proposé par Jean-Paul Delevoye, la retraite serait indexée directement sur les revenus. Par conséquent, les avocats perdraient tous les avantages liés au principe de solidarité professionnelle de leur régime alors qu’il protège ceux aux revenus les plus faibles et garantie ainsi le plein exercice de leurs fonctions. Cette réforme constituera alors, pour la profession, une importante régression.
Ce régime a également permis à l’Etat de trouver chez les nouveaux arrivants une main-d’œuvre bon marché pour assurer à bas coût la défense des plus démunis au travers des missions d’aide juridictionnelle, faiblement rémunérées pour la plupart.
Enfin, la réforme met sur le même plan les salariés, les fonctionnaires et les indépendants. Or, ces différents statuts ne sont pas égaux au départ. Tout d’abord, le régime de retraite des avocats est autofinancé et excédentaire alors que ceux de la RATP, d’EDF ou de la SNCF par exemple, sont financés par les contribuables et déficitaires. Effectivement, ce régime a la particularité de compter 70 000 cotisants pour 15 000 bénéficiaires de prestations et de reverser plus de 80 millions d’euros au régime général.
D’autre part, contrairement aux salariés et aux fonctionnaires, dont les cotisations sont prises en charge à 60 % par l’employeur, les professions libérales ont cette part à leur propre charge.
Image issue du site du CNB
Les conséquences de la réforme :
Aujourd’hui, la grande majorité des avocats cotisent à hauteur de 14 %. Ainsi, selon le Conseil national des barreaux, la réforme aurait pour effet de doubler les cotisations retraite d’un avocat sur deux (les avocats indépendants), qui passeraient de 14 % à 28 % sans bénéfice sur les pensions, voire une baisse pour les avocats les plus modestes. Le rapport Delevoye, qui jette les bases de la réforme, prévoit en effet pour les indépendants un taux de cotisation globale de 28%.
Certains dénoncent alors la « paupérisation sûre et certaine » de la profession avec cette réforme. Ils estiment que de nombreux cabinets ne pourront pas supporter ce doublement de charges et devront mettre la clé sous la porte ou licencier une partie de leur personnel. Ex : un avocat qui déclare 24 000 euros de revenus par an, sa cotisation retraite s’élève, dans le régime actuel, à 3 744 euros/an et sa pension à 20 690 euros/an. Demain, il devra cotiser 6 748 euros/an pour percevoir une pension de 14 021 euros/an.
La réforme risque alors de faire disparaître les petits cabinets dont la plupart vivent avec l’aide juridictionnelle.
Pour les autres, la réforme aura pour conséquence une augmentation de leurs honoraires.
Ainsi, au-delà des avocats, c’est tout le service public de la justice qui est menacé. En appauvrissant les cabinets les plus fragiles, dont la plupart travaillent auprès des populations déjà en difficulté, la réforme menace considérablement l’accès au droit des justiciables.
L’avenir du projet de réforme :
Le projet doit être présenté au conseil des ministres courant décembre 2019 afin d’être voté en 2020. En attendant, le premier ministre Edouard Philippe a chargé le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, de rencontrer d’ici le 15 octobre les représentants des 42 régimes amenés à s’éteindre, pour « dresser un état des lieux » et « fixer un calendrier de travail ».
M. Delevoye et la garde des sceaux, Nicole Belloubet, ont du recevoir mardi matin les responsables du CNB, de la CNBF et de la Conférence des bâtonniers.
Dans le même temps, la concertation avec les organisations syndicales et patronales, débutée il y a près de deux ans, va reprendre jusqu’au mois de décembre, pour tenter de trouver enfin un accord sur l’âge de départ ou la durée de cotisation.
Toutes ces discussions doivent déboucher sur un projet de loi qui sera adopté d’ici l’été prochain, d’après le premier ministre